Dans le cadre du séminaire de « Littératures Francophones » de l’U.P.E.C. (Université Paris-Est Créteil), Ouafia Djebien a présenté, le mercredi 4 janvier 2017, un exposé portant sur « Littératures et Immigration ».

Littératures et immigration

Poétique de l’immigration dans le roman autobiographique intitulé le gone du Chaâba d’Azouz Begag, dans le cadre du séminaire de M. Diop.

La problématique de l’immigration, au sens épistémologique, constitue à elle seule un ponsif de la littérature francophone non pas pour se justifier mais souvent pour témoigner d’un vécu vers l’inconnu, vers un ailleurs, vers une terre d’accueil dont le narrateur ignore quasiment tout jusqu’au nom de la destination soumis aux ressacs et à un espace maritime dévorateur tel un feu voire à un espace maritime funeste. Par ailleurs, sur un plan épistémologique, définir ce concept est sujet à question afin de le distinguer des concepts d’émigration et de migration parce qu’il ouvre le champ des possibles autour de son champ lexical et de son champ sémantique dans la réception qui en est faite sur un plan linguistique, géographique, historique, littéraire, philosophique. L’immigration se définit comme l’action d’immigrer, l’action de venir s’installer et travailler dans un pays étranger définitivement ou pour une longue durée[1].

Cette définition implique son inscription sous cinq angles épistémologiques à dominante géographique, historique, économique, juridique voire politique. Les brassages de population au fil de l’Histoire de l’Humanité ont pu s’expliquer par des motivations économiques, par les intérêts d’une nation, d’un pays occidental ou oriental en quête d’une main d’œuvre à bas coût d’où la résurgence de cet informel au service de l’exploitation de l’homme par l’homme et au service d’une marge de manœuvre déterminée et volontariste sur un plan politique afin d’asseoir un rayonnement économique à l’échelle locale, nationale voire mondiale en quête d’une soif de pouvoir insatiable et intarissable au détriment de groupes d’individus humains, immigrés au fil des siècles et des décennies. La problématique de l’immigration pose un questionnement au sujet d’une résilience humaine et d’une chaîne humaine solidaire en proie avec l’histoire initiale d’un abandon politique et de ses responsabilités individuelles et collectives, omises et longtemps occultées et d’un rejet d’un pan de la population, stigmatisé, à l’origine des maux d’une société française selon cette même société pendant la guerre d’Algérie située dans cette fresque autobiographique signée de la main du romancier Azouz Begag. Les immigrés sont abandonnés, ils sont mis au ban de la société française, dans le Chaâba non pas pour s’y exiler, s’y expatrier comme des émigrés car l’espoir d’un retour au pays natal, vit au son des cliquettements et des vrombissements des machines, produits dans les usines et les manufactures en plein essor économique après 1945, au lendemain de la Seconde guerre mondiale et au début de cette période nommée les Trente Glorieuses qui connaît ses premiers balbutiements en 1944, année de la signature des accords de Bretton Woods à 1975, selon l’expression de Jean Fourastié, économiste.

Ce qui implique la nécessité de ne pas confondre ces deux morphèmes de sens antithétique, immigrer et émigrer, ni leurs dérivés, s’explique par les trois acceptions du verbe « émigrer » : émigrer signifie quitter son pays pour aller se fixer dans un autre ou quitter sa région pour aller vivre ou travailler dans une autre ou en parlant d’argent, aller investir à l’étranger[2]. Ces trois définitions de ce même verbe émigrer s’oriente autour d’une dominante géographique à l’échelle internationale voire régionale donc locale ou autour d’une dominante économique et géographique qui fait resurgir des sujets d’actualité brûlants tels que les délocalisations de firmes transnationales et l’exploitation d’une main d’œuvre à bas coût non immigrée mais native dans le ou les pays où s’opèrent et s’implantent ces délocalisations.

D’emblée introduire une réflexion sur l’immigration s’avère nécessaire. Enfin l’étymologie questionne aussi :verbe emprunté à un étymon latin,  immigrare signifie passer dans, pénétrer littéralement : d’un simple acte de passage succède l’acte de pénétrer or pénétrer est conçu comme l’introduction d’un corps étranger dans un autre corps ; Cette étymologie conçoit la signification de ce verbe immigrer comme une contamination d’un groupe d’individus humains en quête d’un travail et de meilleures conditions de vie économique et matérielles pour un meilleur devenir existentiel et essentielle dans un lieu qu’ils pénètrent, qu’ils violent. Or violent-ils ce lieu en l’occurrence ce pays dans lequel ils ont d’abord passé puis pénétré ? Le violent-il au sens juridique du terme ? Cet étymon ouvre une réflexion sur le contexte historique, les aires géographiques et francophones, le domaine juridique à l’échelle nationale, et internationale. Comment ne pas se froisser lorsque les immigrés sont nommés de manière péjorative « des étrangers » identiques littéralement à ces corps étrangers qui contaminent un corps humain souffrant or ici cette métaphore filée du corps « étranger », non identifié, non reconnu qui s’introduit dans un corps humain renvoie respectivement aux immigrés comparés à ce « corps étranger » puis au pays d’accueil, la France comparée à ce « corps humain » souffrant d’une insuffisance de main d’œuvre. Comment se construit ou se construisent et s’opère-nt la représentation voire les représentations de la problématique relative à l’immigration sous la plume d’Azouz Begag dans son roman autobiographique le gone du Chaâba ? D’immigrare à emigrare, étymons latins, de la locution verbale passer dans au groupe verbal changer de demeure, le cheminement d’une démarche réflexive s’impose sur un plan existentiel et essentiel : le gone du Châaba ne pose-t-il pas également un raisonnement sur la condition humaine dans le pays colonisateur pendant un conflit, la guerre d’Algérie et au lendemain de son indépendance, dans un empire colonial qui s’effrite et qui est démantelé après chaque indépendance, au-delà d’un changement de demeure représenté par le mythe de l’errance et de sa symbolique incarné par le mythe d’Ulysse ?

Le gone du Chaâba, roman contemporain, publié aux confins du XXème et du XXIème siècle, en 1986, s’attache à établir non seulement un état des lieux de l’immigration mais aussi à analyser ce phénomène de déplacement géographique qui se manifeste de manière protéiforme tant dans le vécu du protagoniste et de sa famille que dans le langage qui voyage au fil des mots comme au fil de l’eau, source intarissable d’innovations, d’inventions, de nouveautés linguistiques. Comment l’autobiographie d’Azouz Begag aboutit-elle à ce qui s’apparente à un essai implicite, à une réflexion teintée d’une sensibilité et d’une argumentation subtile et imagée sur la question de l’immigration, sur l’Homme et son rapport au monde dans la littérature, dans les arts et sur la condition humaine ? Le roman ouvre une réflexion sur un récit d’enfance ordinaire et sur l’autobiographie et ses enjeux afin qu’il aboutisse sur la question du langage protéiforme, omniprésente et ses fonctions grâce au logos- qui signifie la parole, la science, la raison- et pour qu’il entraîne une réflexion qui mûrit autour de la symbolique du concept d’immigration, du concept pluriel de langage et de l’écriture autobiographique et romanesque inscrit dans la littérature francophone, dans le patrimoine littéraire où le roman adhère à l’universalité du message transmis et à un humanisme voire à une passion humaniste sans failles et assumés grâce à un écrivain engagé.

I Réflexion sur un récit d’enfance ordinaire et sur l’autobiographie et ses enjeux.

Le Gone du Chaâba porte sur le témoignage du narrateur lorsqu’il était enfant.

1)      Problématique et thématique de l’enfance dans le gone du Chaâba.

1.1 la thématique de l’enfance traité à travers le prisme de l’argot lyonnais.

 La problématique de l’enfance et sa thématique se résume à un mot argotique spécifique de la région lyonnaise : « le gone ». Ces quatre lettres encensent le roman du début à la fin dans la mesure où il existe sept occurrences-clés du mot Chaâba dans sept passages de ce roman, auxquelles est associé ce mot argotique, puéril comme pour marquer une révolution linguistique et romanesque, comme pour se distinguer des écrits de ses contemporains, comme pour puiser dans la richesse des théoriciens du roman et du roman autobiographique, comme pour renouveler un genre littéraire en proie à une désaffection dès lors qu’il est associé à une fiction.

1.2 Construire un mouvement réflexif chez le lecteur et une symbolique autour d’une association de mots.

 La première est placée sous le signe d’une association d’éléments hétéroclites : sensations auditives, la déchirure, le temps chronologique lié à l’absence de son :

 « Soudain un bruit plus perceptible […] déchire le silence nocturne du Chaâba »[3].

Ce bruit s’apparente au bruit d’une déchirure car le sème de la déchirure est étroitement associé au Chaâba qui signifie littéralement le ruisseau qui se jette dans un fleuve. La deuxième occurrence met en exergue la marche vers un lieu par excellence de savoir et d’éducation et l’individualité exprimée par la première personne du singulier, qui se démarque d’un groupe collectif « les gones du Chaâba » pour mieux s’en imprégner paradoxalement comme dans un rite de passage placé au second plan pour libérer la parole du souvenir d’enfance. Le Moi raconte le nous de manière identique à un album de photographies prises instantanément en guise de souvenirs :

« Je peux continuer à marcher sur le chemin de l’école, avec les gones du Chaâba. »[4] 

Cette nouvelle occurrence indique la pluralité liée au lieu devenu un bidonville dont s’extraient les enfants pour entrer dans la société civile par le biais d’un lieu du savoir, l’école qui sert de passerelle entre ce bidonville ignoré par la population et la société civile : marcher sur le chemin de l’école équivaut à marcher sur le chemin de la lecture, de l’écriture, du savoir, du savoir-être, de la connaissance, de la réflexion vers la posture d’écrivain, de romancier, d’autobiographe : il s’agit donc d’une marche chargée de symboles qui occulte le savoir-vivre en classe en raison du contexte historique, d’un conflit et du racisme prégnant dans une société occidentale impérialiste. Or ce savoir-vivre se construit de manière empirique et pragmatique dans le Chaâba qui construit et qui forge un groupe d’habitants dont le dénominateur commun est l’immigration qui résulte aussi de la guerre d’Algérie. Mais ce point commun n’est pas une immigration pour des raisons économiques, financières en vue d’améliorer des conditions de vie difficiles dans le pays natal. La troisième occurrence produit un jeu de mots voire une redondance :

 « […] dans un renfoncement du Chaâba […] Rabah élève une demi-douzaine de poussins […] »[5]

Cette troisième occurrence offre et produit un effet tautologique : Chaâba signifie aussi un ravin qui est aussi un renfoncement.

1.3 le Châaba, creuset du savoir-vivre, passerelle vers le savoir et vers l’éducation pour une reconnaissance à construire.

Cet effet tautologique met en exergue le fait que le Chaâba devient alors une école de la débrouillardise pour un enfant qui s’improvise éleveur de poussins après les avoir volé chez « la Louise » par nécessité-. L’auteur a fait même de ce mot argotique « le gone » une partie du titre éponyme de ce roman autobiographique complété par le complément du nom ou syntagme nominal : « du Chaâba » postposé au nom commun. L’union hétéroclite de l’argot lyonnais et du parler régional sétifien voire du parler régional d’Afrique du Nord annonce l’un des enjeux de ce roman sur un plan linguistique. Une marque de déférence est attribuée par l’usage d’une majuscule pour le nom « Chaâba » qui devient une allégorie de l’immigration insaisissable car elle est traduite par différents morphèmes ou expressions.

2)       L’enfant, témoin historique de scènes de la vie quotidienne dans un bidonville localisé dans la banlieue lyonnaise.

2.1 Un narrateur-témoin : témoin historique et témoin-relais en tant qu’auteur

Le narrateur veut adopter la posture et la fonction de témoin historique à chacune des réminiscences écrites au fil des pages dans ce récit d’enfance autobiographique. En effet, le roman s’ouvre sur une première scène de la vie quotidienne qui met en scène deux mères de familles qui se disputent  d’abord puis plusieurs femmes qui s’en mêlent ensuite pour avoir accès au puits nommée en arabe dialectal « el bomba » traduit simplement par « la pompe » dont les occurrences multiples fondent le leitmotiv d’une source intarissable dans un bidonville abandonné par la société civile et géré et dirigé par ses habitants dominés par la bon sens patriarcal vénéré par l’auteur-narrateur même et guidé par la sagesse matriarcal parfois de manière déséquilibrée. En effet une mère dans la famille du narrateur est souvent silencieuse devant son mari et face aux décisions prises par ce dernier. Les mœurs du pays natal fondent dans le paysage local pour ne faire qu’un : la question de l’immigration est au cœur de cette osmose voulue car elle existe dès le départ du pays natal.

                        2.2 Les fonctions du témoin.

Les fonctions de témoin de personnage principal, de narrateur, d’auteur se mesurent et se quantifient aussi aux sensations visuelles, auditives sans cesse sollicités par le biais des champs lexicaux de la vision et de l’audition voire de l’action dans lequel dominent des verbes d’action et non des verbes d’état. D’ailleurs, il arrive également au narrateur de participer à des actions concertées avec la population du bidonville. La scène des jets de pierre contre les prostituées en donne une illustration : ces jets de pierre opérés par des enfants nommés par la périphrase « les guerriers du Chaâba »[6] selon les ordres des parents et de « la Louise », personnage non ambigu et qui veut protéger ses intérêts après avoir invoqué et prétexté l’intérêt collectif, s’apparentent à une scène de « lapidation » au sens littéral du terme et non pas au sens religieux du mot et qui sont menées par des enfants qui veulent éloigner ces prostituées pour ne pas corrompre, pervertir les habitants du bidonville et le « Chaâba ».

2.3 Du devoir d’histoire au devoir de mémoire : de la mémoire individuelle à la mémoire collective.

Ainsi « une pluie de cailloux s’abat sur les voitures comme de la grêle.  Les carrosseries encaissent le choc ; Des pare-brise volent en éclats. Les hommes et les femmes sortent des voitures, à découvert, sont accueillis par une radée de pierres, s’enfuient dans toutes les directions, les mains sur la tête[7]»

En outre à cette offensive menée par des enfants et orchestrée en amont par leurs parents et par « la Louise », la réplique de l’un des assaillants ne se fait pas attendre et témoigne d’une onde de chocs culturels : le conflit laisse place à un conflit culturel voire générationnel en ces propos à caractère raciste et publique car sa réaction et ses propos sont banalisés : 

« Soudain, un homme intrépide d’une quarantaine d’années fait face aux assaillants, leur crie :

-Bande de p’tits bougnoules ! Vous croyez que je vais vous laisser faire les caïds dans notre pays ? […] »[8]

Il revêt un conflit culturel et générationnel car ce sont des enfants qui « punissent » des adultes pour préserver leur havre de paix, le Chaâba. Par ailleurs l’une d’entre elles se présente aussi comme une mère de famille et tente de trouver un consensus en payant à l’un des chefs de la bande infantile ce qui est considéré aux yeux de ces derniers comme une « taxe » qui leur est due si les péripatéticiennes souhaitent continuer d’investir leur lieu. La question de l’immigration est liée paradoxalement à la question pécuniaire et par voie de conséquence elle est liée à la question matérielle et économique : toute négociation, tout consensus même entre ces enfants et ces adultes pris dans la prostitution témoigne d’une société avilie, sclérosée dont les seuls refuges sont le Chaâba représentée par la famille et l’école, objet du long panégyrique du témoin : 

« Le lendemain matin, sur le chemin de l’école, on commente les aventures des prostituées, pour passer le temps .[…] ».[9]

Ce bidonville exclu de la société civile et par les pouvoirs publics se suffit à lui-même : leur vie s’organise grâce à une microsociété qui vit en ostracisme comme si des sanctions nationales avaient été prises à l’insu des habitants du bidonville au vu de leurs conditions de vie marquées par l’isolement, l’exclusion, par le racisme mais aussi par la volonté de réussir et de s’extraire de ce microcosme. Loin d’occulter un devoir d’Histoire, le narrateur contextualise la guerre d’Algérie au moyen d’un souvenir traduit par cette mise en scène « belliqueuse » qui oppose deux générations différentes, l’une de culture africaine et l’autre de culture française et après avoir convoqué tout un champ lexical de la guerre. Le consensus entre l’une des prostituées et l’aîné des enfants, Mustafa, cousin du narrateur, met fin à ce conflit à l’échelle locale, à l’échelle du Chaâba par un butin qui correspond à cette « taxe » que versent les péripatéticiennes pour occuper ce boulevard proche du Chaâba. Inconsciemment l’auteur fait-il un clin d’œil mi- amusé, mi- approbateur à l’assertion de Kateb Yacine qui déclarait que considérer que « la langue française est un butin » pour les décolonisés lors de la guerre d’Algérie ? Ou s’agit-il plutôt pour l’auteur de concevoir la langue française comme un terrain de jeux au gré des souvenirs et de leur écriture et où les souvenirs se réconcilient entre eux voire avec l’Histoire grâce à l’écriture, à l’expérience de l’écriture ? La mise en scène des prostituées montre que l’avoir tue l’être profond et l’être social : ce sont des femmes dont pour certaines l’appellation de « mère » leur est rendue alors qu’ à contre-courant de ce mouvement destructeur de l’avoir sur l’être social et l’être profond, le narrateur continue de marcher vers l’école, pour construire son ascension sociale et pour préserver son être profond en cultivant les souvenirs, le devoir d’Histoire et le devoir de mémoire liés à sa famille, au Chaâba, aux immigrés pendant cette guerre et après l’indépendance, à l’instar de Zadig qui cultive son jardin d’où, également, l’importance de l’intertextualité dans le gone du Chaâba.

3) La réussite est la clé de voûte et constitue les fondations de ce concept d’immigration dans ce roman.

3.1 la réussite scolaire est conçu comme un cheval de Troie par le narrateur

Effectivement, que ce soit avec son instituteur M. Grand qui fait preuve d’empathie envers Azouz ou avec Mme Valard qu’Azouz accuse de racisme ou avec M.Loubon vu comme l’alter-ego du narrateur car ils sont originaires tous deux d’Algérie, la réussite scolaire est au cœur des préoccupations de leur parents et de leur père qui redouble de vigilance quant aux résultats scolaires de chacun de ses enfants voire de sévérité qui se manifeste par des coups à l’encontre de ses enfants après chacune de ses journées de travail de dix heures par jour. Leur père insiste à maintes reprises sur le fait que ses enfants doivent avoir une meilleure situation que la sienne grâce à l’école, lieu de savoir et de savoir-faire, de savoir-être par excellence et que les parents respectent tout au long du roman.

La citation du narrateur est d’ailleurs révélatrice : à la question de M. Loubon « que veux- tu faire plus tard ? » Azouz répond de manière déconcertante :

« Je veux être président de la République algérienne, monsieur. »

au point de susciter le sourire bienveillant de son interlocuteur qui éprouve de la sympathie puis de l’empathie envers le narrateur en qui il décèle un potentiel intellectuel et scolaire porteur d’espoir.

3.2 L’espoir, un leitmotiv dans le discours des parents.

3.2.1 Les parents Messaouda et Bouzid, du narrateur voit en leur fils cadet Azouz un enfant porteur d’espoir. Même si les parents ne savent guère exprimer leurs sentiments à l’égard de leurs enfants, l’amour maternel et l’amour paternel se manifestent dans les actes. Ainsi une scène capitale nous dévoile la mère du narrateur, qui attend son fils inscrit en CM2 à la sortie de l’école pour également lui offrir un pain au chocolat. C’est une scène pleine d’émotions d’une mère blessée par l’affront que lui fait Azouz après qu’il l’ait ignorée et par l’humiliation car Azouz se sent humilié à l’idée d’être à ses côtés au vu et su de ses camarades de classe pour la simple raison que sa mère porte un « binouar », une longue robe typique d’Afrique du Nord alors que les mères de ses camarades de classe ont un style vestimentaire européanisé, occidentalisé pour ainsi dire.

C’est une scène révélatrice du malaise social et du mal-être profond d’une enfance méconnue et d’une immigration décriée dans le seul but d’améliorer les conditions de vie futures de leurs progénitures sans compter le contexte historique situé au lendemain de l’indépendance de l’Algérie en 1962 car le seule mention chronologique indiquée explicitement est celle de « début août 1966 » date du déménagement de la famille du père Bouzid du Chaâba dans un appartement qui inclut un certain confort matériel équipé de deux alcôves, d’une cuisine d’un séjour et de WC sans baignoire.

L’espoir des parents est aussi moins lié à un futur confort matériel qu’à une volonté de voir leurs enfants, acteurs de leur réussite professionnelle grâce à l’école.

3.2.2 Une réussite matérielle, future conséquence de la réussite scolaire du narrateur

Le roman de Azouz Begag a beau peindre et représenter une fresque humaine issue de l’immigration pendant la guerre d’Algérie car le narrateur est né en 1957, il n’en demeure pas moins qu’il associe étroitement la réussite scolaire à la réussite matérielle. La volonté paternelle est au sommet de la famille et de son bien-être dans le roman. Selon le père Bouzid, seule l’école peut être conçue comme un futur tremplin social. Les excellents résultats scolaires du narrateur partagé entre joie enfantine et découragement en raison du racisme, sont à l’œuvre de sa future ascension sociale :

« Azouz Begag est né en 1957 de parents algériens […] Il est écrivain […] chercheur au CNRS [ …] »[10]

C’est aussi avant tout un récit d’enfance authentique et l’histoire vécu d’un parcours initiatique du protagoniste. C’est le parcours formateur et constructif d’un personnage. Or le mot personnage a pour sens étymologique « masque » : l’auteur prend à contre-sens, à contre-courant ce sens pour écrire un panégyrique d’une enfance partagé entre bonheur familial et douleurs, celle de vivre dans une société qui ignore sa famille, les siens, les habitants des bidonvilles. Son roman pose presque une réflexion sur la condition humaine au sens philosophique : l’Homme et son rapport face au monde, à la littérature, à l’art en général. Son roman lance de manière implicite une question existentielle : le père Bouzid témoigne que l’ « essence précède l’existence » selon l’expression de Jean Paul Sartre : ses enfants sont ses enfants porteurs de l’espoir parental d’une vie meilleure avant d’exister car le narrateur va jusqu’à nier son origine algérienne pour justifier qu’il « est juif » devant les frères Taboul qui l’interroge au sujet de son origine dans un contexte international en crise et en conflit suite à la guerre des six jours dont le vainqueur était l’état d’Israël.

Ce leitmotiv de la réussite est le corollaire du pro-jet autobiographique et de ses enjeux.

On peut citer l’ouvrage de Florence Godeau poétiques du récit d’enfance Benjamin, Nabokov, Sarraute, car elle identifie dans les apprentissages « la formation intellectuelle », « le savoir jouer », « les vocations ? »[11] nommés respectivement, qui peuvent être considérés comme des rituels initiatiques et d’intégration progressive d’un enfant dans la société grâce à son essence, donc grâce à son être , grâce à son vouloir et  aussi grâce à son ambition scolaire, sociale, familiale.

3.3  Le pro-jet autobiographique et ses enjeux.

3.3.1 Le pro-jet autobiographique

Une citation de Nabokov illustre ce pro-jet et ses enjeux : « la meilleure part de la biographie d’un écrivain, ce n’est pas le compte-rendu de ses aventures, c’est l’histoire de son style. » Sa citation fait sens car l’écriture du roman le gone du Chaâba a une genèse construite grâce aux réminiscences de l’auteur, puis une essence élaborée grâce à son roman autobiographique et un devenir au moyen de son inclusion dans le patrimoine de la littérature française et francophone de manière égale.

Philippe Lejeune en a fait un essai probant et riche d’enseignement dans le pacte autobiographique en ces termes : 

« Ce qu’on appelle l’autobiographie est susceptible de diverses approches : étude historique, puisque l’écriture du moi qui s’est développée dans le monde occidental depuis le XVIIIème siècle est un phénomène de civilisation ; étude psychologique, puisque l’acte autobiographique met en jeu de vastes problèmes, comme ceux de la mémoire, de la construction de la personnalité et de l’auto-analyse. Mais l’autobiographie se présente d’abord comme un texte littéraire : mon propos, dans les études ici réunies, a été de m’interroger sur le fonctionnement dans ce texte, en le faisant fonctionner, c’est-à-dire en le lisant. »[12]

L’acte de lire, la lecture est perçue puis conçue, comprise comme un processus, une imbrication dans un engrenage, un « fonctionnement » tel un mode « automatisé » auquel le lecteur prête sa voix et applique sa pensée, sa réflexion pour qu’interagissent sa lecture et son analyse critique d’une œuvre autobiographique. Le lecteur-auteur-critique littéraire identifie, détermine, caractérise, analyse la manière dont ce mode systémique et cette dynamique articule des éléments, des indices, des composantes, des caractéristiques, solidaires, qui mis en résonnance ensemble répondent à cette fonction textuelle spécifique à une autobiographie voire à un roman autobiographique.

Ainsi il définit l’autobiographie comme une somme d’analepses présentée sous la forme d’un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre expérience lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier l’histoire de sa personnalité. »[13]

Le pacte autobiographique requiert de travailler sur les formes du langage employées dans ce « récit en prose » sur « un sujet traité », et dont les paramètres incluent aussi la « situation de l’auteur », sur la « position de l’auteur ».[14]

Notre roman est en prose et est un récit sur une vie individuelle et l’histoire d’une personnalité inscrite dans une vie collective familial voire communautaire à défaut d’une vie inscrite dans la nation même si le narrateur se définit comme « français » car il est né en France afin d’effacer tout clivage social lié à la question de l’origine des enfants. Sa narration s’inscrit dans « une narration autodiégétique » car à l’instar de Gérard Genette son récit est écrit à la première personne du singulier. C’est pourquoi la singularité et l’originalité du gone du Chaâba réside dans sa volonté de s’approprier une période de l’Histoire de France et de l’Histoire de l’Algérie inscrite toutes deux dans un contexte historique conflictuelle en raison de la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962 pour mieux s’approprier son vécu et le partager voire le démocratiser, le vulgariser à grande échelle.

3.3.2 Les enjeux de cette autobiographie.

La narration est autodiégétique « dans sa classification des voix » sur un plan narratologique selon Philippe Lejeune au point qu’il est possible d’éclairer ce qualificatif à la lumière du concept de « polyphonie » dans l’essai de Mikhaïl Bakhtine philosophe et théoricien du roman intitulé esthétique et théorie du roman publié en 1924.

 La polyphonie est l’existence de plusieurs voix sur un plan narratologique malgré la prééminence d’une focalisation interne par le narrateur voire d’une focalisation zéro prise en charge par l’auteur-narrateur.  Notons que « je est un autre » selon l’expression même de Rimbaud dans « Lettre à un Voyant » du 15 mai 1871, année qui marque la défaite française lors de la bataille de Sedan à l’issue de laquelle la Prusse annexe l’Alsace-Lorraine et à l’issue de laquelle le Second Empire sous Napoléon III amorce sa fin.

Par cette citation de Rimbaud, Philippe Lejeune pose la problématique construite autour de l’identité du « je » et de sa « copie » qui tend à vouloir être une « copie conforme » du moi, de cette première personne qui s’exprime au fil de ses souvenirs, de ses réminiscences. Peut-on alors évoquer l’idée d’une autobiographie romancée ou d’un roman autobiographique même si la frontière entre ces deux dénominations est infime ? Pour s’en expliquer il est possible de s’appuyer sur l’onomastique des instituteurs. M. Grand renvoie aussi à la domination coloniale et par extension le nom du personnage, Mme Vlamard dont le suffixe péjoratif -ard est associé à un onomatopée « vla » tronqué pour « vlan » pour signifier une tape ou une gifle évoque la violence du racisme vécue par le narrateur et par sa famille et les locataires du Chaâba. Enfin M. Loubon, renvoie au jeu de mots « loup bon » dont le narrateur loue la bonté dans cette dialectique du même représenté par un enfant et de l’autre représenté par un ancien colon instituteur, un ancien « pied-noir » selon l’expression de l’enfant-narrateur, tous deux unis dans le partage d’une histoire commune, celle de la guerre d’Algérie et de son indépendance et d’une culture commune voire d’une langue commune. « [Chaque] personnage a son nom : il est son nom. »[15]

II Langage protéiforme et omniprésent et ses fonctions dans le gone du Chaâba

1)      Les guides de phraséologie de l’auteur

1.1  Le guide de la phraséologie bouzidienne[16]

Un condensé des mots et des expressions les plus récurrentes dans le roman est employés par le père du narrateur, Bouzid au point qu’il a produit un néologisme, adjectif qualificatif bouzidien. Il ajoute une fiche technique descriptive pour savoir utiliser son guide par exemple : « la boulicia », « la tilifiziou », « li zbour », les retranscriptions phonétiques opérés par leurs parents qui emploient l’arabe dialectale et le français afin d’être compris hors du Chaâba dans les commerces, au travail etc…témoignent de ces néologismes semblables aux mots mêlés dont les sonorités s’accordent pour rendre des propos compréhensibles.

1.2  Le petit dictionnaire des mots azouziens[17]

Il précise qu’il s’agit du parler des natifs de Sétif proche de Constantine géographiquement même si elles sont éloignées. Ce parler régional constitue un petit dictionnaire des mots bouzidiens suivi du petit dictionnaire des mots azouziens qui est le parler des natifs de Lyon.

Ces guides ou dictionnaire improvisés par le narrateur sont en lien avec le concept du plurilinguisme.

2)      Le plurilinguisme à l’œuvre dans le roman autobiographique de Azouz Begag.

Selon Mikhaïl Bakhtine le plurilinguisme peut se résumer en cette définition succincte : il est question de l’existence des différentes strates sur un plan linguistique voire de la coexistence de différentes langues vivantes ou langues mortes ou de parlers régionaux. En ce cas l’adjectif « régionaux » est à appréhender à l’échelle locale voire à l’échelle d’un pays donc à l’échelle nationale comme la région de Sétif ou wilaya de Sétif. Quant au parler des natifs de Sétif et au guide des mots azouziens spécifique au parler de la région lyonnaise ils sont inclus, mis en résonnance avec la langue française dominante et interagissent avec elle dans ce roman.

Il est vrai que ce mélange linguistique suscite le rire ou le sourire du lecteur. Ainsi son roman est aussi un roman humoristique dont Mikhaïl Bakhtine écrit:  « [Le]fondement du roman humoristique c’est le mode tout à fait spécifique du recours au langage commun [..] communément par les écrits, par la moyenne des gens d’un certain milieu et qui est traité par l’auteur comme l’opinion commune »[18].

La moyenne des gens évoqués par ce théoricien peut être composée des personnes lambdas qui forment la doxa, l’opinion commune.

Or le narrateur se fait le relais de témoin historique, d’écrivain, de théoricien grâce aux guides et aux dictionnaires à la fin de son roman.

3)      Les fonctions du langage protéiforme à l’œuvre dans le gone du Chaâba

  • Par le biais du schéma de la communication, il est plausible de repérer et d’identifier les six fonctions du langage déterminés par Roman Jakobson dans son essai de linguistique général en 1960 : la fonction émotive, la fonction poétique, la fonction référentielle où le message renvoie au monde extérieur, la fonction phatique -mise en place et maintien de la communication-, la fonction métalinguistique, la fonction conative -fonction relative au récepteur-. Toutes les six sont fusionnelles dans son roman autobiographique au moyen de ses monologues intérieurs ou des dialogues ou des discours rapportés ou direct selon la terminologie de Genette dans Figures III voire dans les discours indirects ou dans les discours indirects libre donnant libre cours à la narration du protagoniste.

 

L’alternance des discours et leur richesse indique non seulement le caractère hétéroclite du roman et son originalité tant dans l’écriture et que dans le travail de mimesis, de mémoire et de retranscription de son histoire et de leur histoire.

III Le gone du Chaâba est un roman d’Azouz Begag qui présente aussi une réflexion qui mûrit autour de la symbolique du concept d’immigration, du concept pluriel de langage et de l’écriture autobiographique et romanesque.

  1. La symbolique du concept d’immigration

Ce ne sont pas seulement les personnes qui immigrent mais ce sont les mots aussi. Autour de cette dialectique du même et de l’Autre, se pose la question centrale de l’Altérité, concept qui « exprime toutes les facettes de ce qui est autre : divers, disparate, dissemblable, différent, hétéroclite, hétérogène, et étranger, voire autrui. L’Altérité s’applique tant aux lieux qu’aux êtres humains »[19], selon la définition des auteurs de l’ouvrage collectif intitulé le tourisme, acteurs, lieux et enjeux de Mathis Stock, Olivier Dehoorne, Philippe Duhamel, Jean Christophe gay, Rémy Knafou, Olivier Lazarotti, Isabelle Sacareau, Philippe Violier en 2003.

Les mots, les groupes de mots, les expressions dans la richesse des langues et des parlers régionaux sont convoqués, se meuvent de l’incipit à la fin du roman.

Le père de famille a le dernier mot dans le roman qui s’achève sur un procédé de mise en suspens car le lecteur semble deviner sans certitude qu’un nouveau déménagement dans un F4 est programmée à l’issue de la potentielle et future visite de l’appartement par le père Bouzid. Son roman, s’achève comme une histoire sans fin comme pour inviter le lecteur à orienter son propre vécu sans le calquer pour autant sur le témoignage du protagoniste Azouz Begag dont le nom de famille est cité une fois dans le roman.

Les parlers régionaux parodient sur un plan linguistique la doxa mais aussi le vécu des personnages de ce roman autobiographique, leur expérience.

A cette symbolique de l’immigration s’ajoutent celle de la pluralité des langues, des parlers et de l’écriture autobiographique et romanesque.

  1. Symbolique de la pluralité des langues et des parlers régionaux.

Identifier repérer les éléments du pacte autobiographique s’effectue dès la lecture de l’incipit semblable à une source qui jaillit des tréfonds de la terre ou identique à une mine d’or où se joignent, se complètent les interprétations de ce roman et de son incipit.

Le titre est éloquent. D’ailleurs le gone signifie le gamin selon l’argot de la région lyonnaise dès la fin des années 1950 à l’année 1966, citée pour marquer leur premier déménagement.

Le Chaâba signifie littéralement le ruisseau voire l’intersection, la jonction entre le ruisseau qui se jette dans l’oued c’est-à-dire dans un fleuve. Le Chaâba est aussi le ravin : c’est un idiome de l’arabe dialectal nommé al darija symptomatique du ponsif de la déchirure, de la séparation dans la littérature postcoloniale, dans la littérature francophone.

Ce ravin évoque la chute au sens littéral de l’expression « tomber dans un ravin » or dans ce roman paradoxalement c’est la fresque d’une ascension sociale fulgurante qui nous est narrée dans une tranche de vie qui est l’enfance de l’auteur-narrateur : l’enfance est l’âge de l’innocence, de l’insouciance, des émotions, de la témérité, de l’opiniâtreté enfantines dont est jalonnée le roman. Ce roman est aussi une autobiographie romancée où il existe des séquences autobiographiques enchâssées ; ces récits enchâssés font penser à l’Heptaméron de Marguerite de Navarre au XVème siècle.

3. Symbolique sur l’écriture autobiographique et romanesque.

Son roman mêle les registres lyriques, poétiques, polémiques parfois pour lancer un débat d’idées lors de sa composition sur le plagiat et la censure au moment où mme Vlamard le sanctionne par un zéro après l’avoir accusé de plagiat d’une nouvelle de Maupassant et lors de sa composition sur le racisme fondée sur une démarche déductive car le narrateur prend pour appui son vécu et celui de sa famille pour en tirer une leçon de morale qui provoque une réflexion argumentée sur un sujet d’actualité social tu et qui témoigne de sa volonté de s’émanciper intellectuellement pour se démarquer de ses camarades de classe. Car il réitère qu’il est le seul « Arabe » de sa classe, origine associée sans cesse à son ambition scolaire et implicitement à son ambition sociale et à sa réussite sociale.

C’est pourquoi aussi l’incipit s’ouvre sur une mise en scène de Zidouma, tante du narrateur et sur la métaphore filée du nettoyage composée des mots suivants : « lessive, tord, fouette, frappe, lourds draps gonflés d’eau », « saboune d’Marseille », « tirer l’eau » « frotte à nouveau », « rince », tire l’eau », « essore le linge ». Cette métaphore lui fait répéter des opérations, des actions. Elle traduit aussi dans cette dimension empirique et pragmatique une métaphore filée de la page blanche représentée par ces « draps » à laver, à frotter, etc. qui ressemble alors aux brouillons pleins d’annotations, de commentaires de l’écrivain même si seul le corpus du texte romanesque est conservé tout comme ce linge essoré et donc cette page blanche nettoyée métaphoriquement de ses annotations, commentaires et brouillons. Il est possible d’y lire ce symbole qui unit le narrateur, l’auteur et le personnage féminin qui font un et forme l’unité romanesque. Car la poétique du personnage féminin renvoie à cette page écrite grâce à cette mise en scène initiale : l’auteur-narrateur ne fait plus qu’un avec l’écriture. La focalisation interne témoigne du fait que le narrateur est témoin de cette scène. Par ailleurs, il relate cette réminiscence qui fait appel à sa mémoire auditive et visuelle. Le puits du Chaâba d’où elle tire l’eau évoque la profondeur et constitue une métonymie du savoir, de la quête de connaissance et du savoir alliée à la quête des souvenirs qui ressurgissent, de cette mimesis enfouie et pour qui l’écriture devient un acte de maïeutique pour reprendre ce concept de Sophocle. La phrase-clé de l’incipit est la suivante : « mais son comportement indique une volonté précise » et le mot-clé est « une volonté » : la volonté, le vouloir provoque la quête du savoir et de la mimesis.

Ensuite la phrase « elle tient à prendre son temps, beaucoup de temps » évoque le temps qui passe liée à la métaphore de l’eau, l’eau tirée du puits par Zidouma, sa tante, mime le temps qui passe dans cette phrase et traduit le travail de l’écrivain.

Sur un plan onomastique, le narrateur fait l’économie des trois syllabes incongrues dans le prénom ou surnom Zidouma et qui suscitent le mystère, le côté hermétique du roman interprétable à l’infini comme cette eau du puits qui coule et ce temps qui passe et qui file comme les grains de sable entre les doigts.

Le « pugilat » de ces deux femmes autour du puits mime le combat de l’écrivain avec sa plume autour de l’encrier représenté par ce puits du Chaâba. La « communauté du Chaâba » est celle de l’écriture dont les « deux clans » sont l’écrivain et sa plume. La figure maternelle surgit comme dans un rêve, dans le souvenir du narrateur dans cette scène de fait divers de pugilat autour d’« l’bomba et le baissaine », donc autour de la pompe et du bassin. Le narrateur devient spectateur et prend plaisir à voir ce pugilat : « J’aime bien m’asseoir sur les marches d’escalier de la maison et jouir des scènes qui se jouent devant l’bomba et le bassaine. C’est si étrange de voir des femmes se battre »[20]. Au moyen de l’adjectif qualificatif « étrange » comment ne pas penser à « l’inquiétante étrangeté » sur laquelle a travaillé Freud dans son ouvrage psychanalytique ? Parallèlement derrière ce pugilat qui oppose deux femmes puis plusieurs femmes ce sont aussi deux mères patries qui s’affrontent pendant le conflit. Cette mise en scène révèle la théâtralité dans le récit : le Chaâba est « un théâtre » pour le narrateur et c’est l’histoire d’un pugilat féminin dans un roman autobiographique, dans son incipit. Enfin cette mise en scène est un métarécit ou mise en abyme qui a pour fonction de comprendre que « l’bomba n’est qu’un prétexte » au sens littéral un pré-texte, ce qui précède le texte, le corps du texte : la plume n’est qu’un prétexte pour écrire voire réécrire ce théâtre et cette mise en scène d’un pugilat entre femmes d’un bidonville.

C’est un prétexte qui précède le texte romanesque et qui amorce l’incipit d’où jaillit la source, l’eau qui rend le linge « lourd d’eau » et donc métaphoriquement c’est de l’incipit que jaillit l’écriture qui inonde la page blanche grâce à ce pré-texte. Ce théâtre constitue « un discours narrativisé » ou raconté selon G. Genette, c’est-à-dire, « traité comme un évènement parmi d’autres et assumé comme tel par le narrateur lui-même »[21] C’est pourquoi, la frontière entre paroles et pensées du narrateur est à peine palpable et prête à confusion au premier abord. C’est un énoncé bref proche de l’évènement à l’état brut, du fait divers à faible portée car il est ignoré par la doxa. C’est aussi le récit d’un débat intérieur, d’un discours intérieur narrativisé car il est ponctué des indices d’énonciation tels que le pronom personnel « je », les adjectifs possessifs « mes », « sa » qui indiquent la propriété, la possession. Ces indices marquent la volonté de l’auteur de s’approprier les souvenirs et l’écriture autobiographique parce que l’auteur est celui qui a autorité sur son œuvre. Au fond le Chaâba associe le ruisseau, l’eau à la déliquescence d’un lieu qui est le bidonville. Enfin lorsqu’ils sont mis en résonnance ensemble, ce lieu devient un lieu de rassemblement et un lieu de déchirure au pays natal et cette eau, ce puits deviennent source d’espoir, de l’éveil et du réveil d’une écriture romanesque.

Le roman d’Azouz Begag recèle des trésors tant dans les faits divers qui représentent des scènes de la vie quotidienne évoquées au gré des souvenirs après les avoir égrenés avec déférence que dans la symbolique traitée avec subtilité et avec finesse afin de nous mener à une réflexion linguistique et sur la posture de l’écrivain. Son roman postcolonial fait écho au roman autobiographique de Fatou Dioume le Ventre de l’Atlantique ou le roman de Amine Maalouf les échelles du Levant qui relate le récit d’un protagoniste témoin de la Seconde guerre mondiale. Le roman autobiographique d’Azouz Begag est riche d’enseignement sur un plan littéraire, linguistique, francophone, historique, thématique.

Il est possible d’employer à rebours ce ?tre éponyme du recueil poé?que de G. Apollinaire et son vers

au sujet de la li?érature francophone et de ses enjeux

Jamais les crépuscules(opression, domina?on de l’homme par l’homme dont il reste des traces cf

Plaute, Pline l’ancien, Erasme, Rabelais, Montaigne, agrippa d’aubigné, schopenhauer, freud etc…

l’homme est un loup pour l’homme) ne vaincront les aurores (volonté d’émancipa?on,

d’indépendance)…

Il est grand temps de rallumer les étoiles ( les écrits telles des étoiles, des guides, éclairent notre

ré+exion, notre raisonnement pour éviter les ténèbres de l’obscuran?sme sous toutes ses formes)

De Guillaume Apollinaire

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Jamais les crépuscules(opression, domina?on de l’homme par l’homme dont il reste des traces cf

Plaute, Pline l’ancien, Erasme, Rabelais, Montaigne, agrippa d’aubigné, schopenhauer, freud etc…

l’homme est un loup pour l’homme) ne vaincront les aurores (volonté d’émancipa?on,

d’indépendance)…

Il est grand temps de rallumer les étoiles ( les écrits telles des étoiles, des guides, éclairent notre

ré+exion, notre raisonnement pour éviter les ténèbres de l’obscuran?sme sous toutes ses formes)

De Guillaume Apollinaire

Il est possible d’employer à rebours ce titre éponyme du recueil poétique de Guillaume Apollinaire et son vers au sujet de la littérature francophone et de ses enjeux :

« Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores

Il est grand temps de rallumer les étoiles » [22]

Ces crépuscules renvoient par analogisme à l’oppression, à la domination de l’homme par l’homme dont il reste des traces dans les écrits de Plaute, de Pline l’ancien, d’Erasme, de Rabelais, de Montaigne, de Schopenhauer, de Freud mais également dans la littérature et dans l’Histoire littéraire d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Océanie. Et ces aurores évoquent de manière intangible et irréversible cette volonté d’émancipation, d’indépendance. Et les écrits telles des étoiles, des guides, éclairent notre réflexion, notre raisonnement pour éviter les ténèbres de l’ignorance et de l’obscurantisme sous toutes ses formes.


[1] http://www.cnrtl.fr/definition/immigrer in TLFI

[2] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9migrer/28751

[3] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :14.

[4] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :17

[5] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :43

[6] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :52

[7] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :52

[8] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :52

[9] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions points, 2005, p :54

[10] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions du Seuil, 2005, p : 3.

[11] Poétiques du récit d’enfance Benjamin, Nabokov, Sarraute, Florence Godeau, édition PUF, 2004, p :85-88-92.

[12] Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, 1975,1996, p :7.

[13] Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, 1975,1996, p :14.

[14] Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, 1975,1996, p :14.

[15] Le personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Émile Zola, Philippe Hamon, éditions Droz, 1983.

[16] Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, 1975,1996, p :233-234

[17] Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, 1975,1996, p :237-238

[18] Esthétique et théorie du roman, Mikhaïl Bakhtine, Gallimard, 1996, p :123

[19] Le tourisme, acteurs, lieux et enjeux, Mathis Stock, Olivier Dehoorne, Philippe Duhamel, Jean Christophe gay, Rémy Knafou, Olivier Lazarotti, Isabelle Sacareau, Philippe Violier, Belin Sup, 2003, p : 286.

[20] Le gone du Chaâba, Azouz Begag, éditions du Seuil, 2005, p :9.

[21] Figures III, G.Genette, édition du Seuil, 1972, p : 190.

[22] Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores, Guillaume Apollinaire, éditions Lux, 2000.

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