Qui suis-je ?

Sur le temple de Delphes il est dit : « connais toi toi même et tu connaitras l’univers et les dieux ». J’ai 20 ans. J’ai de plus en plus d’espoir, et de moins en moins de peur. Il me reste encore un long chemin à parcourir. Il serait prétentieux d’affirmer me connaitre entièrement. Alors j’avoue, je ne sais pas qui je suis. Mais je sais qui je veux être. Ou plutôt, je sais ce que je ne veux pas devenir. Pour le comprendre, empruntez avec moi le train du souvenir.

Racine(s)

Une vie est un livre. Chaque jour écrit ou arrache une page de ce précieux manuscrit. Pour ma part, j’ai l’impression qu’on a volé plusieurs de mes chapitres. Durant la distribution des rôles, on a oublié de me donner un script. Shakespeare, en 1603, exposait déjà ma pensée : « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs ». Très tôt, le masque de ma mère est tombé, et l’équilibre précaire sur lequel je reposais s’est écroulé comme un château de cartes.
Mon premier souvenir ? Des larmes, des cris, des hurlements.
Ceux d’enfants en colère ? Non, ceux d’une femme pas née pour être mère.
Des assiettes se brisent, l’espoir aussi. J’ai trois ans, je suis cachée derrière le panier à linge, et j’ai peur. Peur de ma mère, de sa souffrance, peur de l’avenir. Mon frère se cache aussi, toujours près de moi. Il a 5 ans. Tapi dans l’ombre, il essaie de comprendre.
Pourquoi, oui pourquoi nos parents se détestent-ils ? Est-ce notre faute ?
Mon père arrive, rouge de colère, et veut nous emmener loin de ce drame. Il veut nous protéger, mais je suis trop jeune pour le comprendre. Il emmène mon frère. L’un reste, l’autre part. Je rejoins ma mère dans la chambre. Cette vision est impossible à effacer de ma mémoire. Ce que je vois n’a rien de compréhensible. Pas de forme, pas de couleur, pas de mère. Juste une flaque jonchant le sol. Un torrent de larmes irrigue le lac desséché de cette femme à terre. Pas de fierté, pas d’amour, pas d’humanité.

(…)

Le temps passe et je n’oublie pas. Je grandis, contre vents et marées. Au risque de vous décevoir, je ne suis pas une héroïne de roman. Je saigne, je pleure, donc je vis. Et j’apprends enfin à aimer ça. Mais j’avoue à demi-mot que je vis peut-être trop à travers les autres. J’ai d’abord voulu vivre pour mes amis. Aider du mieux que je pouvais. Un oiseau blessé ne peut sans doute pas voler, mais il peut toujours pousser les autres à prendre leur envol. Alors je me suis très vite fait à l’idée de devenir psychologue.

Ironique constatation

Et pourtant je suis là. Avec vous. Pourquoi ? Vous ne posez pas la bonne question. Il faudrait me demander grâce à qui. Je ne crois pas particulièrement au destin. Je préfère placer ma foi dans les hommes. Ou plutôt dans mes hommes.

«  L’éducation sentimentale »

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage », et parmi les tempêtes a su dompter l’orage,
Par-delà les montagnes et leurs mille vipères, on m’a offert un sage, on m’a donné un père.
J’en garde cette image, invincible roi mage,
Qui toujours, mon repère, m’a sauvé de l’amer,
C’est ma route, mon passage, mon pilier, mon bagage,
Mon bateau chaviré, échoué sur la plage, parvient à se relever, car c’est lui mon courage,
C’est un homme, grand et fier, c’est un songe, une lumière,
Qui toujours fait barrage, à ces jours de ravages,
Où l’âme erre et se perd, telle une mâne au cimetière,
C’est un homme, c’est ma rage, c’est mon livre, c’est mes pages.

L’allié

Je marche, inlassablement. Comme guidée par une voix intérieure. Elle me dit : « continue d’avancer, je couvre tes arrières ». Je relève la tête. Je suis avec mon frère. Il me sourit. L’espoir renait. M’avoir donné un frère, c’est m’avoir donné un souffle, un cœur, la vie. Si une chanson ne s’écrit pas sans paroles, mon existence ne peut avoir de sens, et être véritablement comprise, que lorsque vous faites sa rencontre. On ne choisit pas sa famille. Je n’ai pas échappé à cette règle. Et pourtant, si je ne crois pas à la destinée, il me semble évident que je devais avoir ce frère. Je ne suis pas un individu qui souhaite se distinguer dans son individualité. J’appartiens à un tout. Ce tout c’est une famille. Et grâce à mon frère je me souviens…

Je me souviens de ne jamais avoir honte de ce que je suis…
Je me souviens d’être fidèle envers ceux que j’aime…
Je me souviens de ne jamais cesser de me battre…
Je me souviens qu’aider les autres ne nous fera pas forcément aller au paradis, mais que c’est le meilleur moyen de s’aider soi-même…
Je me souviens que plus on aime une personne, plus on a mal quand on la blesse…
Je me souviens qu’une famille ne se résume ni au sang ni à un nombre…

Et je sais que…

Je sais que je ne serai jamais seule…
Je sais que même les pires cauchemars ont une fin…
Je sais que les solutions de facilité sont les voies qui nous compliqueront toujours le plus la vie…
Je sais que je ne saurai jamais tout, et que ça n’a aucune importance…
Je sais que sans lui je ne serais pas devant vous, car sans lui je ne serais pas du tout.

« L’araignée et l’ortie »

C’est grâce à Victor Hugo que j’ai compris que la beauté se trouvait dans chaque chose. Dans chaque chose, oui. Mais pas dans chaque être. J’ai très vite été exposée au-devant de la scène. A mon grand malheur, ce n’était pas en rejoignant une troupe de théâtre. Et pourtant, j’ai assisté à bien plus de drames et de comédies burlesques que je l’aurais souhaité. Mon frère et moi avons été soumis pendant des années à la même problématique : si nous étions parvenus, après bien des difficultés, à nous assumer en faisant fi des avis extérieurs, comment garder la face  tout en étant associés à notre mère ? La réponse à cette question ne nous parvint que bien plus tard, mais c’est une autre histoire. Mon frère est plutôt timide, et on me décrit facilement comme extravertie. Pourtant, face à l’humiliation perpétuelle que représentait notre mère, nous étions égaux dans l’adversité. Pas de jaloux. Le seul avantage quand une personne se couvre de ridicule à chaque fête familiale, c’est que fatalement, tous les invités finissent par se résigner.

Le pire n’était finalement pas de voir notre mère pleurer et crier, ou nous incendier devant toute l’assemblée. Le plus humiliant restait ce regard. Cette pitié. Les adultes nous couvaient de leurs coups d’œil maladroits, comme pour dire « pauvres petits, tenez-bon ». Ces gens-là pensent nous comprendre. Ils ont tort, mais on ne peut pas les en blâmer. Quand on rentre à la maison, enivré par l’alcool et l’heure tardive, on oublie.

Les enfants n’oublient pas. Ils attendent simplement pour parler. Alors à chaque nouvelle humiliation, nous attendons. En silence. Nous n’aimons pas être seuls, et pourtant nous ne pouvons pas supporter ce monde. Comprenez-nous, nous ne voulons simplement pas que d’autres personnes assistent à ce spectacle. Nous désirons simplement passer à autre chose.

Passions

La passion de la vie est loin d’être immédiate. Elle s’acquiert avec le temps. Lentement, et certainement pas sûrement. Quand on est enfant, on nous apprend que la vie est belle, dure mais belle. Et que rien n’est gratuit. Si nous sommes chanceux comme j’ai pu l’être, on nous inculque les valeurs du travail, du respect, et de la générosité. Il n’est pas toujours simple de rester fidèle à cet idéal. La chose la plus essentielle et la plus difficile, à mes yeux, reste de savoir garder son humanité en toute circonstance. Il est tellement plus facile de fermer les yeux face à la souffrance, au doute, ou à la faiblesse.

Bien évidemment, quand il s’agit de notre propre souffrance, nous avons davantage tendance à garder les yeux ouverts. Je pensais, grâce à ma mère, être devenue invincible, et imperméable à l’humiliation. Grave erreur de ma part. Le seul problème que j’ai pu rencontrer face à la protection sans faille de mon frère, c’est que cela a fini par créer une véritable dépendance de mon côté. Je n’ai pas su me protéger. J’en ai payé le prix à de nombreuses reprises.

Aveu de faiblesse

Assise sur un banc, à la lueur du jour. Assise sur un banc, le bonheur tout autour. C’est l’été, il fait chaud et beau. Je n’ai pas vraiment d’amis. Mais j’ai réussi à inviter une fille qui ne m’intéresse que très peu. Mais ce peu représente tellement pour moi. Dans ces moments de joie, éphémères mais beaux, on ne peut que remercier le ciel. Parfois, nous n’en avons pas le temps. La vie est une grande roue. Elle nous embarque, de gré ou de force, et ne nous libère de ce vertige que très rarement. Trois ombres apparaissent. Ou seraient-ce des fourmis ? Ils nous abordent, ce qui me pousse à ouvrir les yeux pour distinguer trois garçons d’au moins deux ou trois classes de moins que nous. Ils nous insultent. Je ne comprends pas pourquoi, je regarde la fille, gênée et abasourdie. Je ne comprendrai jamais le désir humain de vouloir gâcher l’existence de ses congénères. Jusqu’à présent, les scientifiques n’ont pas encore réussi à trouver de planète pour les gens de cette espèce. Alors en attendant que cette nouvelle miraculeuse passe aux infos de vingt heures, je cohabite tant bien que mal. Mais eux non. Un des garçons, le chef de la bande, décèle la peur en moi. Il sait que je suis une proie facile. Alors il attaque comme le ferait un chien enragé. A coup d’insultes et de menaces, il tente de m’ôter toute contenance humaine. Il souhaite que je ne sois plus qu’humiliation. Pour terminer le rituel, il commande à un de ses complices d’achever la punition. Celui-ci s’approche, hésitant. Puis il obéît. Il baisse les yeux et me crache dessus. Les deux autres garçons rient, et ils partent en courant. Heureux et fiers. Et moi, je reste penaude. Anéantie. Humiliée. Ne pouvant me cacher la dure réalité : je suis trop faible et apeurée.

Rébellion prochaine

Je tombe, je chute, je vole,
Mes yeux crient ma détresse, alertent l’horizon d’un ouragan qui vient, qui gronde, qui hurle,
« Un jour les volcans exploseront », et je me réveillerai,
Comme Pompéi, je sortirai du néant,
Je déferai ma carapace de pierre, pour ne plus jamais m’endormir,
Car le silence reste le pire des tombeaux,
Ma voix n’est pas à vendre, et mon âme se libère,
J’oublie les larmes, les lendemains sans avenir, et le passé écrasant,
Je suis plus que ce que je pense.
Je marche pour les apeurés en colère.
Je cours pour les aveugles qui recouvrent la vue.
Je vole pour ceux à qui on a coupé les ailes.

La peur ne m’abandonnera jamais. Et je ne voudrai jamais qu’elle me quitte.
Hier elle me guidait, aujourd’hui elle me pousse. Elle m’emmène là où je n’osais pas aller. A la rencontre de la personne que je dois être.

« Les Faux-monnayeurs »

J’en veux à la télévision et à tous ses concepts absurdes. De petits bonhommes dans une boite tentent de nous imposer des modèles de pensées et de comportements. Tout cela n’est que mensonge, hypocrisie, fausse vertu. On nous montre un monde doré qui tourne autour du pouvoir et de la beauté. Mais où se situe l’homme, le vrai, dans cette belle histoire ? Où se cache notre humanité ? Je voudrais jeter aux visages de ces faux prophètes leurs mythes pernicieux qui jamais ne deviendront réalité. On nous vend l’idée d’une famille parfaite, tout en kit. Harmonieuse et aimante. Les enfants pensent y trouver des parents protecteurs et indestructibles. Les parents veulent des poupées à emmener à la danse et des garçons pour jouer au foot.

Je maudis cette vignette décolorée, qui se décolle plus vite qu’un pansement d’enfant. La jeunesse n’a rien de doré, et la vieillesse ne consiste pas à récolter les fruits de la maturité. Tous les enfants ne sont pas bordés chaque soir. Ce n’est pas le conte de cendrillon qui clôturera leur journée difficile. Peter Pan ne viendra pas ouvrir leur fenêtre pour les inviter à découvrir un monde merveilleux. Ils s’endormiront sur cette triste comédie de la vie, sur la farce qui les surplombe. Ce ne sont que des témoins impuissants. Ils n’ont aucun impact sur leur propre histoire.

Tout comme eux, je relis les chapitres de ma vie. Et je ris jaune. Une porte se claque. Le pansement est arraché. Le chien, les enfants, tout y passe. Dans un même souffle, on nous ôte notre maison. Notre mère nous renie. Pousse les êtres qu’elle a créés hors de sa vie. Comme pour mieux pouvoir souffrir de sa solitude et s’en faire plaindre.

Nous courons dans les marches. Nous fuyons. Fuir cette vie, cet être, cet abandon. Fuir pour ne plus être chassés. Traqués. Dans cet instant, nous pourrions courir sans fin. La libération est la plus belle source d’infini. Nous sommes partis dans la nuit avec pour seule destination le salut paternel. La terre promise. Un lieu non pas parfait, mais indestructible. Notre seule maison. Notre fort. Notre avenir.

A travers la nuit noire, guidés par la seule lumière de l’espoir, nous continuons d’avancer. Rien ne pourrait nous arrêter. Ni le froid, ni la peur, ni l’angoisse ou l’aigreur. Nous marchons et grandissons d’un même pas. Mon frère est là, solide rempart à ma tristesse. Comme mon phare il se dresse, me guide, et m’aide à avancer. Toujours le plus fidèle de mes alliés.

C’est dans une souffrance commune que se forgent les liens les plus solides. Les enfants qui brisent le fer de l’oppression finissent par devenir les maillons d’une même chaine.

Et nous arrivons. Détruits ce soir, et indestructibles demain. Jamais plus nous ne cèderont. Nous ne sommes plus de simples enfants. Nous sommes des survivants. Pas ceux d’une grande guerre. Ceux d’un dur combat. Combat d’une nuit, combat d’une vie. Lutter contre le sang, contre la colère, lutter contre soi. Combattre la facilité de la rancune qui nous cloue au sol. Je n’oublie pas. Je ne pardonne pas. J’avance.

Je n’avance pas pour celle qui m’a mise au monde. J’avance malgré elle. On m’a ôté l’appartenance à une famille qui ne voulait pas de ma souffrance. On ne me volera pas mon être en contrepartie. Le prix du souvenir coûte déjà bien cher. Je préfère avoir mal à cause des blessures que m’a causées mon combat que de m’endormir entourée par des masques. J’aime le théâtre. J’aime la comédie et la tragédie.

J’exècre le mensonge.

Thanatos et le rappel à la vie

La vie est plus fragile que les ailes d’un papillon. Elle monte, elle descend. Elle vole, mais pas trop haut. Quand la mort apparait, la vie suspend son cours. Elle nous stoppe, nous enlise. Seule la mort nous rappelle la vraie valeur de la vie. Thanatos arrive. Il court. Il n’est pas comme son frère Hypnos qui nous accompagne chaque nuit. Le grand frère n’hésite pas à un instant à couper le fil de la vie.

Il fait son métier. Au même titre qu’un banquier, qu’un peintre, ou qu’un poète. Quand l’heure sonne, nous sommes secoués. Personne ne nous avait prévenus, on ne voulait pas se l’avouer. On se rappelle alors la dure réalité : il n y a point place à l’immortalité.

« La terre est bleue comme une orange », elle tourne sans fin. Nous nous arrêterons de marcher avant elle. C’est un témoin. Elle nous élève, nous met au monde. Elle nous voit grandir, et enfin elle nous recueille en son sein. Comme ses enfants égarés. La vie est une course à la montre, où chacun va à sa vitesse. Mais personne ne va plus vite que Thanatos. Fermez-lui la porte et il passera par la fenêtre. Aussi absurde et injuste que puisse être la perte d’un être cher, aucun choix ne nous est proposé. On peut renier ou accepter. On peut pleurer ou maudire. Mais on ne peut pas stopper la roue du destin. Cette roue est une partie d’un char qui pourrait nous écraser selon son souhait. Alors on attend, inlassablement. On essaie d’oublier. Jusqu’au prochain rappel à l’ordre.

Et quand elle nous rattrape, on ne peut l’ignorer. Même Césaire ne peut plus nous protéger. Il ne reste plus qu’une chose à faire : combattre la mort en poursuivant sa vie. Il n’est pas question d’oubli ou d’ignorance. Il nous incombe de faire pour les disparus tout ce qu’ils auraient fait pour nous : Sourire, vivre, respirer. Cela prend du temps. Le deuil reste une longue apnée. On sait quand elle commence, mais jamais quand elle finit.

Je suis saisie d’un grand froid qui me glace. J’ai mal. Cela me rend humaine. Parfois trop.
Ne serions-nous que les marionnettes qu’un destin, trop grand pour nous, tire d’en haut ?
Je lutte contre le vent. Je lutte contre le temps.

Je suis ici, je suis là-bas, je suis partout. Ma pensée s’envole, se pose sur ces pages, et s’évapore. Je m’égare. Je ne veux pas me découvrir.

« L’ami Retrouvé »

Retrouvé et…
Perdu…
Perdre un ami c’est perdre un chapitre.
Avec le temps qui passe, les souvenirs se décolorent. L’encre s’efface. La vie oublie, mais pas moi. Oublier serait trahir. Alors j’entretiens un souvenir qui me blesse.

Un jour il est là. Il me protège. Sans que je ne lui aie jamais rien demandé. Ce garçon souffre plus que moi. Mais la douleur peut-elle vraiment se comparer ? Se mettre dans un sac. S’emballer comme un papier cadeau. Lourd colis que j’aimerais tellement pouvoir jeter à la mer. Avec lui, je vois l’horizon lointain. J’aperçois une terre où accoster. A travers la pluie battante, il me tend son parapluie, et il avance avec moi. Je souris pour lui. Nous sommes dans une époque où la question de l’amour ne se pose pas vraiment. Nous ne sommes que des enfants. Nous nous aimons comme tels: si maladroitement. Si parfaitement.

Cet individu est un incompris. Mais déchiffre mon énigme. Il intercepte le message que je jette à la mer. Nous sommes deux naufragés qui décidons de nous sauver mutuellement. Face à l’adversité de la vie, nous nous serrons l’un contre l’autre. Comme pour dire : « A deux nous ne craignons rien, la vie ne nous fait pas peur ».

Rassurée, je ferme les yeux. Et je m’endors.
J’ai confiance, alors je dors du sommeil du juste.

Je rouvre les yeux. Je suis seule. Il est parti. Comme s’il n’avait jamais existé.
Il ne me laisse rien. Pas une trace. Je reste là. Suspendue au vol, en apesanteur.

Je ne tombe pas. Je glisse. Je glisse à travers des sentiers inconnus. Je cherche à le rejoindre. Je n’ai pas d’indice, pas de piste. Mon instinct est inutile. Je suis livrée à moi-même. Je marche. Je cours. Je perds mon souffle. Je m’entête à chercher cet être qui me manque.

Je le cherche pour me retrouver. Je ne désespère pas. Jamais.
Je le retrouverai, un jour ou l’autre. Je m’en convaincs.

(…)

Et me voilà ici avec vous. 7 ans plus tard.
Je n’attends plus de miracle. Mais je n’abandonne pas. Renoncer, ce serait me renier moi-même. Ce garçon ne sait pas qu’il a changé ma vie. Ce garçon m’a oublié. Je ne suis plus rien pour lui. Et pourtant, sans lui, je ne serais pas avec vous aujourd’hui.
« Les Fleurs du Mal »
Le poète est un sorcier vaudou. Il nous ensorcèle de son chant.
Je suis endoctrinée. Bercée par le doux murmure des mots qui font mal.
Car oui, l’écriture me soigne par le sang. Ce n’est pas un remède miracle. Ecrire, c’est accepter d’exposer ses cicatrices, à soi et aux autres.

Tous ces mots que je jette sur le papier sont des cris arrachés à mon âme. Elle pleure, elle hurle. Elle me crie de continuer à écrire pour jeter l’amarre. Pour m’affranchir de cette souffrance, et de ces pleurs. Je suis ce que j’écris, et je me confonds avec mes mots. Je grandis avec eux, pour ne plus former qu’un seul ensemble. Je les assemble, ils me forment.

Avec eux, je ne suis jamais seule. L’écriture me hante. C’est le démon protecteur qui guide mes pas.

Je suis dans le noir. Au loin j’aperçois un phare. On m’appelle. On m’invoque. Ce sont eux, les fantômes. Ils me sourient. Ces hommes et ces femmes m’ont sauvé. Je ne les connais pas, et pourtant je ne serais rien sans eux. Ils ont posé des mots sur mes douleurs et sur mes rires. Ils sont ma joie, mon amour. Ces gens, ces trépassés, se dressent fièrement comme le plus grand des monuments. Ces auteurs, ces poètes, ont marqué l’Histoire. Mais aujourd’hui ils composent  les chapitres de mon histoire.

Je suis un personnage qui avance dans son œuvre sans savoir où il va. Je ne sais pas encore ce que me réserve mon créateur. Et je ne veux pas vraiment le savoir. Au fil des pages qui avancent, je réponds enfin à ma question. Ou plutôt ces auteurs y répondent pour moi.

« Qui suis-je ? »

Je suis Antigone, je suis Bernard, je suis Olivier, je suis un volcan, je suis Pauline, je suis Phèdre, je suis Médée, je suis Créon, je suis l’ombre des palmiers, je suis une nourrice, je suis une enfant, je suis une actrice, je suis une figurante.

Je suis l’arrogance de la jeunesse, le courage des audacieux, l’amertume des anciens, la peur des ignorants, l’ironie des gens blessés.

Je suis le rideau qui se lève, je suis le chœur qui se tait, je suis le public qui attend, je suis le vieillard qui s’endort, je suis l’appréhension qui nous prend.

Ils me regardent. Ils attendent en silence. Ils sont tous là. Césaire, Gide, Dumas, Senghor, Hugo, Masterton, Anouilh. Ils me comprennent. Ils m’élèvent, m’éduquent. Comme Lorenzo je me dresse pour une cause qui me dépasse. Je me lève fièrement,

« Debout dans les cordages,

Debout et libre »,

Et de là débute mon voyage au bout de la nuit. Je suis animée par un désir de vie. Je suis alerte, prête à recevoir les sacrements de la vie. Je suis un bateau amarré au port, qui s’apprête à partir. Je pars pour un horizon nouveau. Inquiétant et imparfait. Je pars pour devenir celle que je suis déjà. Car je suis l’amie retrouvée.

J’accueille à bras ouverts mes ténèbres. Je me réfugie dans la nuit qui ne m’effraie plus. J’ai grandi. Mes mots aussi. Dans l’existence comme dans les romans, le blanc n’est pas à craindre. Un blanc c’est une pause. Une pause, c’est une respiration. La respiration, c’est la vie.

Mon futur s’écrit au fil de ces pages. Nous l’écrivons en ce moment même. Nous le gravons ensemble dans le marbre.

Je vais bientôt pouvoir clore ce récit, ce qui ne mettra pas un terme à mon existence pour autant, je vous rassure. Avoir écrit ces quelques lignes me blesse. Je replonge ici dans des souvenirs douloureux. Et pourtant, ce sont sûrement les souvenirs les plus importants de ma courte vie.

Me raconter, c’est les réécrire. Je suis un être de chair qui se définit par toute son imperfection et son humanité.

Je suis cette personne aujourd’hui, mais que serais-je demain ? Je ne suis pas voyante comme Hugo, mais je pense avoir quelques idées sur la question.

Demain je serai quelqu’un. Une personne à part entière. Je ne serai pas seule. Et je serai tous ces souvenirs, tous ces êtres dont vous avez aperçu l’ombre. Je serai une fille, une sœur, une amie, une élève, une novice, une curieuse, une passionnée. Je ne serai pas parfaite, et je commettrai des faux pas. Mais je le ferai avec tout mon cœur.

Chaque jour les volcans explosent,
Et l’espoir renaît, inlassablement,
Je sors du néant plus forte que jamais,
Je m’en nourris, comme pour mieux exister,
La peur et le doute m’encouragent,
Ce sont mes plus grands alliés.

Je poursuis ma route, comme doit le faire tout bon personnage de roman qui se respecte. Je fais des détours, j’explore les voies qui s’offrent à moi. Je me cherche toujours, et je me trouve peu à peu.

Rome ne s’est pas fait en un jour. Ni en deux. Alors je prends mon temps. Je profite. Je savoure. J’écris. Et je progresse, pas à pas, les yeux bandés.

Tout comme Sisyphe, j’entame l’ascension d’un pic qui me surplombe. Je ne soulève pas un rocher, mais j’ai comme tout un chacun, quelques cailloux dans la chaussure. Toutefois, dans le fond cela importe peu, car comme dit André Gide dans Les Faux monnayeurs :

« Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant. »

Début de l’aube.

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