Joséphine Ekedi: peinture et sculpture

« La force ordinatrice qui fait le style nègre est le rythme. C’est la chose la plus sensible et la moins matérielle. Il est fait d’un thème – forme sculpturale – qui s’oppose à un thème frère, comme l’inspiration à l’expiration, et qui se regarde. Ce n’est pas la symétrie qui engendre la monotonie : le rythme est vivant, il est libre.» Léopold Sédar Senghor

Joséphine Ekedi ou la sculpture en mouvement

A travers des poses, des attitudes, des scénographies, la peintre-sculptrice camerounaise Joséphine Ekedi installée en Normandie, donne des effets puissants aux sculptures, aux masques, aux mannequins et aux statues. Avec une liberté créative et singulière, elle utilise des matériaux du quotidien, clous, tissus, peinture ou encore strass pour façonner ces volumes et leur faire perdre l’austérité qu’on leur attribuerait de prime abord. En transcendant leur fonction par le biais d’un nouvel épiderme, elle nous invite par l’humour à réfléchir sur nos attitudes ainsi que les usages sociaux des matériaux. Derrière ces opérations de réhabilitation et d’habillage, il y a une pensée sur les cycles de vie et les expériences de la limite : recyclage et innovation.

Joséphine Ekedi donne aux objets figés rythme et énergie. Car « le rythme est l’architecture de l’être, le dynamisme interne qui lui donne forme, le système d’ondes qu’il émet à l’adresse des Autres, l’expression pure de la force vitale. Le rythme c’est le choc vibratoire, la force qui, à travers le sens, nous saisit à la racine de l’être. Il s’exprime par les moyens les plus matériels, les plus sensuels : lignes, surfaces, volumes en architecture, sculpture et peinture ; accents en poésie et musique ; mouvement dans la danse. Mais, ce faisant il ordonne tout ce concret vers la lumière de l’Esprit» Léopold Sédar Senghor1

Au moment où les questions environnementales et le devenir du monde sont discutés, le travail artistique de Joséphine est pleinement d’actualité. Son œuvre est une musique à la rythmique du contretemps c’est-à-dire une œuvre dont le thème de base est toujours rythmé par des disjonctions, des suspensions, le tout en harmonie. A l’instar du musicien africain qui « joue en l’air » et invite le spectateur à faire des pas de danse, et au besoin à sauter, cette peintre-sculptrice semble peindre en « l’air » c’est-à-dire qu’elle laisse ses œuvres inachevées pour que nous y exercions nos libertés. Mais, si cet appel à contribution peut être un moyen de nous arracher de la réalité quotidienne, il nous impose de prendre nos responsabilités. Car en sautant on prend le risque de tomber ! Heureusement que l’artiste met en place des paliers très doux qui peuvent amortir les chocs. Les tonalités (les sens de la joie et de la mélancolie) sont unifiées dans un thème qu’elle répète autant que possible. A travers les matériaux qui signifient la résistance (clous),

1 Léopold Sédar Senghor. Liberté I. Cité par Souleymane Bachir Diagne Léopold Sédar Senghor l’art africain comme philosophie. Riveneuve Editions, 2007

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Joséphine Ekedi montre comment dans une perspective fluide (peinture) et flexible (tissus), on peut inventer avec finesse (bijoux), un monde meilleur. Comme dans le jazz, dans ses œuvres la répétition de thèmes n’est pas redite mais une façon de rebondir, d’improviser. Certaines séquences nous invitent à transformer le Blues (la douleur) en espoir. L’expression artistique devient ainsi une source de de résilience et d’espoir pour le corps social.

Les œuvres de Joséphine Ekedi sont du Gospel. Elle nous appelle à chanter un hymne à la joie Elle ne nous parle pas de ses déboires, ni de ses cauchemars, mais de ses rêves d’un monde de tolérance, de compassion et d’amour.

La peintre-sculptrice devient l’intermédiaire qui permet de passer d’une situation à une autre ; elle montre non seulement par le geste l’existence des êtres (surtout des invisibles), mais elle signale également l’existence d’autres outils pour une meilleure appréciation des conditions des êtres dans le monde. Cette multiple identification qui s’exprime dans des sculptures illustre les postures que peuvent prendre les êtres, face aux dynamiques de changement introduites et développées par la modernité. Elles permettent de se construire et de construire la conscience de soi. Il y a donc une dimension spirituelle dans les œuvres de Joséphine. Les œuvres de cet artiste nous renvoient à notre réalité ultime : nos valeurs, notre idéal de vie, du monde et de son harmonie. Il s’agit là de choix d’un éthos, d’un ton pour rassembler, mettre en dialogue les différentes populations et leurs environnements. Le temps de la contemplation qui retient chaque regard dans sa singularité et son exceptionnalité, nourrit l’imaginaire.et constitue un moment de sortie des ténèbres de la vie.

Pour mieux apprécier le style et la façon dont Joséphine joue ses partitions dans le rythme du contretemps, je vous invite à vous pencher sur son œuvre « Oscar l’Africain.»

Par Mahamadou Lamine Sagna

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