ORIGINES ET SUBLIMATION

Sur les thèmes de:

. l’identité / . la nomenclature des couleurs / . l’habitation / . les Békés et leurs esclaves / . le marronnage / . le rapport des Antilles à l’Afrique /  . la  nature de l’écrivain / . Faulkner / . Glissant / . Césaire / . Saint-John Perse / . Fanon / . le rapport auteur-lecteur;

Relire le roman de Patrick Chamoiseau: Un dimanche au cachot. Paris, NRF-Gallimard, 2007, 325 pages.

« Un dimanche de pluie, une petite fille se réfugie sous une voûte de pierre, dans le jardin du foyer qui l’a recueillie. Terrassée par une souffrance indépassable, elle reste prostrée dans l’ombre et ne veut plus en sortir. On sollicite alors Patrick Chamoiseau, écrivain, Marqueur de Paroles, et surtout éducateur en matière de justice. Mais tandis qu’il vient au secours de l’enfant, il devine ce qu’elle ignore: cette voûte de pierre n’est autre que le plus effrayant des vestiges. C’est un cachot dont les parois balisent une ténébreuse mémoire, qui dérive loin dans les impensables de l’Histoire, dans l’intransmissible de l’esclavage, ce crime sans châtiment. / Désemparé, l’éducateur lui raconte d’abord ce qui lui vient à l’esprit (sous les auspices de Faulkner, Saint-John Perse et Glissant). S’ensuit une histoire de chair et de sang, une tremblante évocation qui se déplace dans le réel et l’imaginaire, dans le présent et les temps anciens de l’Habitation où vivait L’Oubliée, l’esclave rebelle… Car c’est l’oeuvre du Marqueur de Paroles de capter les signes et les traces, les langues et les cultures, de considérer les présences qui nous habitent, ce qui s’est abîmé ou s’est effacé, et qui pourtant nous fonde et nous initie… / Qui sait ce que le cachot le plus effrayant peut refléter, ou libérer, de l’éclat du monde? » (Quatrième de couverture).

ISBN: 978 2070 765 157.

Le cachot est symbolique d’un lieu et d’une histoire, d’où l’écrivain peut imaginer sa propre oeuvre et celle de congénères plus anciens:

« … je vois émerger de ce cachot de merde Césaire, Fanon, Glissant, tant de poésie, tant d’écriture, tant d’exigence et de hauteur, tant de grandeur. Ils en sortent comme des spectres improbables, et, comme L’Oubliée, ils regardent autour d’eux. / Impossible de trouver normal que de tels endroits aient pu donner naissance à des oeuvres comme celles de Césaire, de Glissant, de Perse, de Fanon, de Faulkner… Il me faudrait en faire un roman. Seul le roman peut tenter de comprendre, c’est-à-dire d’envisager en ombres et en lumières. J’aime à les imaginer naissant dans ce cachot infâme et lui échappant non par leurs idées leurs postures ou leurs choix mais en le dépassant par les fastes de leur oeuvre. Et par leur oeuvre , le transmutant en faste. Glissant appelle fastes ces lieux du monde qui ont nourri sa vie, qui ont fondé dans leur diversalité et sa pensée, sa poésie, et son assise au monde. C’est sans doute sa poétique qui a élevé en fastes ces lieux qu’il porte en lui. C’est peut-être le signe même que le cachot le plus effrayant peut refléter, ou libérer, l’éclat du monde. Que l’horreur peut obliger à fastes… » (Patrick Chamoiseau, Un dimanche au cachot, pages 312-313).

Patrick Chamoiseau écrit en se regardant, en s’écoutant écrire. Jusqu’à la griserie, il s’abanonne à l’écriture, au transport de l’imagination. Le lecteur qui le suit sur cette pente du vertige est par moments averti du subterfuge, et tenu de « ne pas sombrer dans le délire de l’écrivain » (page 173).

Une comparaison des pages 312-313 d’ Un dimanche au cachot avec les passages où Aimé Césaire évoque ses origines (géographie et histoire) dans le Cahier d’un retour au pays natal  (édition consultée: Paris, Présence Africaine, 1983) explicite le clin d’oeil du romancier (Chamoiseau) au père de la poésie martiniquaise moderne (Césaire) :

. « cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir » (Cahier, page 8)  

. « cette ville plate – étalée.. » (Cahier, page 9)

. « cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins, de peurs juchées dans les arbres, de peurs creusées dans le sol, de peurs en dérive dans le ciel, de peurs amoncelées et ses fumerolles d’angoisse » (Cahier, page 10)

. « Et une honte, cette rue Paille, / un appendice dégoûtant comme les parties honteuses du bourg qui étend à droite et à gauche, tout au long de la route coloniale, la houle grise de ses toits d’essentes. Ici il n’y a que des toits de paille que l’embrun a brunis et que le vent épile » (Cahier, page 19)

.  » … ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d’une île » (Cahier, page 24)

. « et voici au bout du petit matin ma prière virile / que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle, » (Cahier, page 49)

. « J’accepte. J’accepte/ et le nègre fustigé qui dit: « Pardon mon maître » et les vingt-neuf coups de fouet légal / et le cachot de quatre pieds de haut / et le carcan à branches … » (Cahier, pages 53-54)

Papa S. Diop

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