COMPTE RENDU DE LECTURE de Théo Ananissoh, Sony Labou Tansi, Améla et moi… (Lecture de Le soleil sans se brûler de Théo Ananissoh) de Bernard Mouralis, préface par Daniel-Henri Pageaux, Paris, L’Harmattan, coll. Classiques pour demain, 2017, 212 p.

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Théo Ananissoh, Sony Labou Tansi, Améla et moi…fait écho à un autre titre, Sony Labou Tansi, L’Amérique et moi, un article de  Améla, universitaire togolais (1947-2007). Cet article est paru dans un ouvrage consacré à Sony Labou Tansi, dirigé par Rodriguez Greta et Alain Ricard (Bordeaux, IEP, Centre d’Etudes d’Afrique Noire, coll. Travaux et documents, n°65, 2000). Dans son texte, Améla raconte son aventure et son amitié avec l’écrivain congolais, aventure qui a commencé aux États-Unis en 1988, en passant par Lomé, au Togo, où l’écrivain fut invité pour une série de conférences.

Cette amitié est revisitée dans la fiction Le soleil sans se brûler de Théo Ananissoh (Tunis, Elyzad, 2015), où l’auteur retrace la rencontre d’un étudiant Théo, narrateur du récit, avec son ancien Professeur, Charles Améla. Une rencontre marquée par des échanges sur divers sujets, parmi lesquels une longue discussion sur la destinée  littéraire de Sony Labou Tansi.

Cette fiction a fait surgir chez Bernard Mouralis un certain nombre de résonances, et à juste titre, tant la fiction « flirte » étrangement avec la réalité. L’universitaire Améla, nommé Charles Koffi Améla dans le récit de Théo Ananissoh fait penser de toute évidence  au Professeur  Janvier Améla qui avait entretenu des liens d’amitié avec Sony Labou Tansi, et Théo Ananissoh  qui fut son étudiant à l’Université de Lomé, au Togo. Curieuse coïncidence, la thèse de Doctorat de Théo Ananissoh a porté  sur Sony Labou Tansi avec pour Directeur de Thèse Daniel-Henri Pageaux, par ailleurs préfacier de l’ouvrage de Bernard Mouralis.

Ce dernier fut très proche du Professeur Améla, d’abord à l’université de Lomé à partir de 1976 puis, par la suite, lors de différentes rencontres scientifique à Paris X Nanterre ou Paris XII Val de Marne et il fit partie du Jury de la thèse d’Etat soutenue par Améla à Paris XII en janvier 1987 et qui portait sur le thème de l’Afrique dans la poésie française du XIXe siècle. Evoquant la naissance de cette amitié, Bernard Mouralis confie dans son ouvrage : « j’appréciais beaucoup Améla en raison de sa vaste culture et de son esprit non conformiste qui donnaient du courage en cette époque où pesait une atmosphère politique étouffante…Il m’avait offert la première édition, ronéotée, de ses Odes lyriques et il avait écrit dessus quelques mots qui disaient bien notre complicité….Je me souviens encore des longues conversations que nous avions sur toutes sortes de sujet, de l’Antiquité à la poésie du XIXe… »

On notera chez Mouralis, dans ce livre consacré aux deux amis, aux deux écrivains, Améla et Sony, une sorte de dialogue intérieur avec lui-même, dialogue marqué notamment par le « moi » du titre et le « je » qui revient très souvent : « Ce livre (Mouralis parle du livre de Théo Ananissoh, Le soleil sans se brûler) a éveillé en moi des résonances personnelles que l’auteur ne pouvait sans doute pas soupçonner et qui sont liées au séjour que j’ai effectué comme Maître de Conférences à L’Université du Bénin à Lomé, de 1976 à 1979 et au cours duquel j’ai eu pour collègue et ami Améla, ancien professeur du narrateur et personnage central dans cette mise en perspective critique que développe Le soleil sans se brûler.. » précise Bernard Mouralis.

Toutefois, cet essai de Bernard Mouralis, Théo Ananissoh, Sony Labou Tansi, Améla et moi… .(Lecture de Le soleil sans se brûler) n’est pas à lire comme un souvenir ou des mémoires, et  encore moins comme une autobiographie. Il est surtout  une étude d’histoire littéraire fondé sur les conditions sociales, matérielles et intellectuelles dans lesquelles, se sont formés les écrivains dont il est question dans cet ouvrage.

Dans un premier temps, l’auteur analyse la destinée littéraire de Sony Labou Tansi telle que cela apparaît dans Le soleil sans se brûler, à travers les conversations des personnages Théo et Charles Koffi Améla qui note en particulier : « La vie et demie (il énumère des doigts), L’état honteux et L’Anté–peuple sont les trois romans lisibles de Sony, les autres, c’est du n’importe quoi ! Tout comme ces pièces de théâtre sur commande qu’il a produites chaque année pour un festival à Limoges, en France. Une pièce par an, montée, créée par celui qui l’a écrit…Molière sans doute, mais lui, je crois, n’écrivait pas des romans en plus et ne voyageait pas tout le temps entre deux ou trois continents. » Suivant ces propos, Bernard Mouralis, dans son essai, est aussi  amené à se demander  si Sony Labou Tansi n’a pas été finalement un écrivain surestimé. Par ailleurs,  Cette première partie de l’ouvrage fait également penser à un aspect de l’histoire littéraire dans lequel les personnages traitent de questions littéraires, comme chez Balzac, par exemple, dans Illusions perdues ou chez Proust lorsque le narrateur et sa grand-mère s’entretiennent des romans de George Sand.

Dans un second temps, l’essai de Bernard Mouralis, démontre  comment les relations, maître, disciple et camarade donnent  lieu à des figurations multiples tant dans la réalité que dans la fiction de Théo Ananissoh. Parmi celles-ci, on pourra retenir :

-La relation entre  Sony et Améla, relation d’amitié commencée aux États-Unis, s’est surtout concrétisée par la visite de Sony à Lomé en Février 1988. Au-delà d’une simple amitié on relève chez les deux hommes, malgré certaines disparités, des affinités électives.

-La relation entre Théo et son ancien professeur Améla. Une relation Maître-Disciple qui a pris une autre forme lorsque Théo, venu passer des vacances au pays, après un séjour en Occident, rencontre son ancien professeur, durement éprouvé par une aventure politique qui l’a conduit en prison. Aussitôt, toute une autre relation se tisse entre les deux, relation cette fois-ci marquée par leur déambulation dans les rues de Lomé jusqu’à la mort du Maître. De cette période de dures épreuves pour son Maître, Théo, dans le roman, évoque « des années serrées, obscures, éprouvantes ». Le terme « obscures » non seulement renvoie à la période de disgrâce d’Améla mais également laisse émerger un processus d’intertextualité qui peut rappeler au lecteur de Le soleil sans se brûler le titre et le motif du récit de Philippe Jaccottet, L’obscurité, paru en 1961, où nous assistons à la rencontre d’un disciple avec son maitre, après plusieurs années, presque dans les mêmes conditions que Théo et Améla. Il est à préciser que les relations entre Sony et Améla et celle qui s’établit entre Théo et son maître sont des relations réelles dont les modalités apparaissent explicitement dans Le soleil sans se brûler.

Dans la dernière partie de l’essai, l’auteur nous laisse découvrir l’œuvre laissée par Améla dans les trois domaines où s’est exercée son activité d’écriture : l’étude de la période des guerres civiles et de l’avènement du régime impérial au 1er siècle av. J.-C., avec pour références les deux figures antinomiques de César et de Cicéron ; ses travaux sur la littérature française du XIXe, portant notamment sur Victor Hugo, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval et Arthur Rimbaud ; ses analyses consacrées aux auteurs africains du XXe ; et enfin son œuvre poétique, les Odes Lyriques (Paris, Akpagnon, 1983).

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