Daniel MAXIMIN

-CYCLONE ANNONCÉ.

L’autre cyclone du siècle est annoncé.

L’énergie-désespoir prend des forces sur l’océan, préparant son menu d’îles à dévaster au hasard.

Nous allons laisser vivre la catastrophe jusqu’à la satiété de sa violence, brasser rêves et cauchemars sans dormir, pour avoir une chance d’arriver jusqu’à sa fin, qui aura bien dégagé le ciel pour le premier soleil, afin qu’il sèche vite le pain, les yeux, l’espoir et les matelas.

Nous allons chercher ensemble les mots qui disent à la fois la tragédie de la lumière coupée et la résistance de la dernière bougie, jusqu’au relais du jour qui finira la veillée.

Ensemble nous aurons très soif de paroles enracinées, nous allons réveiller en nous la franchise et l’invention des conteurs des soirs de mortalité. Seuls, entre-nous, sans le voisinage occupé à sa propre solitude.

Ce sera une veillée sans contes ni chansons, où il nous faudra pourtant sans cesse caresser nos peurs et nos silences pour ne pas engourdir les gestes de survie, sortir toutes nos réserves de paroles les plus fortes, les plus belles, les plus imaginées vraies.

Qui marche seul n’avance pas. Qui meurt tout seul ne sème pas. Qui espère seul n’attend rien. Un pays est plus qu’un arbre. Même sans racines il peut fleurir. Notre île est une vraie case, édifiée par notre grande famille d’orphelins fiancés. Assez fertile en cas de cyclone, séisme ou éruption pour préserver des grains de sable et des gouttes d’écume et récolter des racines.

Mais surtout ce soir il nous faudra prendre bien garde à nous, à bien préserver le nous de chacun. Espoir et désespoir n’habitent pas qu’une seule tête. Il nous faut reparler ensemble, rejouer à la famille nombreuse, crier, pleurer ou rire en additions de chacun, chanter, danser, se cacher sous la table, périr ensemble s’il n’y a plus rien à faire, et surtout ne jamais jamais s’échapper dehors tant que le cyclone n’est pas parti plus loin.

Chacun sa page s’il le faut, mais dans le futur même cahier.

Il faudra taire pour cette nuit la prière du soir de certaines femmes: Mon dieu, donnez-moi la force de rester seule, même sans vous.  Nous savons bien que ce n’est pas facile tout seul de rester entre nous, pour tenter de vivre seul le danger qui nous attend ensemble ce soir.

Nous avons juste eu le temps avant l’alerte numéro deux de faire provision d’eau et de conserves. L’après-midi, calme et sans vent, s’est passée à consolider; chacun chez soi ou en coups-de-main rapide chez un parent ou un voisin encombré. Tous solidaires, les humains, les cases et les arbres, mais chacun si possible chez soi, les familles enfermées, les maisons barricadées, et les arbres en sentinelles. On a déjà vu des cases emportées venir se caler contre deux arbres sans se briser, ou encore des arbres déracinés s’abattre sans écraser la maison édifiée sous leur ombre, en léguant à portée du lendemain une dernière récolte de cocos, de mangues ou d’avocats.

Entre-temps, nous aurons foi, cette nuit ensemble. Avec chacun nos deux seuls yeux, nos deux seules mains, et nos cœurs redoublés.

Et le nouveau soleil sera fait de tous nos rayons redressés.

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