Richard Laurent Omgba et André Ntonfo (éds), Aimé Césaire et le monde noir, Paris, L’Harmattan, 2012, 401p.

Compte rendu de lecture

Ce livre constitue les actes du colloque international tenu à l’Université de Yaoundé I, du 08 au 10 juin 2010, sous le thème : « Aimé Césaire et le monde noir : regards croisés » ; colloque que les éditeurs scientifiques du présent ouvrage, Richard Laurent Omgba – Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines – et André Ntonfo, présentent respectivement comme un « hommage » et des « funérailles intellectuelles ». Dans son avant-propos, le premier  justifie l’organisation du colloque par la place obsédante que l’Afrique tient dans les œuvres de Césaire. Le deuxième, quant à lui, dans son introduction, érige la Martinique en « terre  de pèlerinage pour le monde noir » et l’intellectuel Martiniquais en Saint.

Les contributions sont rassemblées en trois grandes parties. La première traite du « Regard césairien sur le monde noir » et s’ouvre sur la communication de l’illustre professeur Mathieu-François Minyono Nkodo, « Aimé Césaire et l’Afrique d’hier et aujourd’hui : Discours sur le colonialisme et Ferrements à l’épreuve du Cinquantenaire des indépendances africaines, Essai de lecture postcoloniale », qui revisite « l’œuvre et la personnalité de ce grand compagnon de l’Afrique et des Africains, en hommage aux services rendus » (p. 25) pour y puiser l’inspiration pour les sociétés africaines postcoloniales. Jérôme Roger examine ensuite la « parole négrifiée » du poète et la dénaturalisation qu’elle opère sur la langue française, dans son étude de la politique du poème Cahier d’un retour au pays natal. Dans « Aimé Césaire : le théoricien et l’acteur de la décolonisation », Albert-Pascal Temgoua voit dans la poésie et les essais du Martiniquais un acte d’accusation et de libération qui, à travers la dénonciation du colonialisme comme chosification de l’homme, fait de lui un personnage important de la décolonisation africaine. Tandis que Catherine Marie Ida Awoundja Nsata, dans « Le retour d’Aimé Césaire vers l’Afrique, un parcours initiatique à travers son œuvre poétique », montre comment le poète, du Cahier à Moi, laminaire, prend conscience de sa Négritude, à travers son œuvre poétique, une question plus féministe préoccupe Alice Delphine Tang, qui analyse la place du discours féminin dans La Tragédie du roi Christophe, pour voir comment « la communication théâtrale [joue] avec les codes du discours pour produire des regards féminins sur la manière dont les hommes gèrent la cité dans cette œuvre » (p. 99). Didier Amela s’intéresse à la « figure du héros romantique dans Une saison au Congo » qu’il voit dans le personnage de Lumumba ; alors que Clément Moupoumbou, en voyant dans la foi au travail de Christophe un sentiment religieux, analyse « la religiosité dans La Tragédie du roi Christophe ». L’étude de Pierre-Marie Njiale, « L’école et la question éducative dans l’œuvre d’Aimé Césaire », clôture cette partie en tentant de saisir le « socle pédagogique de la pensée césairienne [et] les effets collatéraux de la réalité [sociohistorique qui l’a vu naître] sur l’édification de l’identité et la construction de la personnalité d’un individu » (p. 137)

La deuxième partie s’intitule : « Césaire vu du monde noir » et est inaugurée par la communication de Richard Laurent Omgba, « La revanche de Caliban, une lecture contemporaine du théâtre d’Aimé Césaire ». En se fondant sur Une Tempête, l’auteur démontre que « l’œuvre théâtrale de Césaire est à lire comme une grande prophétie annonçant la revanche […] des Noirs et des opprimés sur les oppresseurs » (p. 147), le cas Barack Obama étant un exemple significatif. Dans « Comment aimer Césaire ? ou l’oxymore négro-africain », Charly-Gabriel Mbock considère Césaire comme un « oxymore humain » du fait de ses fonctions de poéticien et de politicien, apparemment incompatibles. Guy Ossito Midihouan étudie « les conditions littéraires de la réception d’Aimé Césaire au Bénin ». Et pour Calixte Fritz, il faut « clarifier l’observation selon laquelle les écrivains antillais sont marqués par une représentation de l’Afrique qui suscite en arrière-fond de leurs écrits un désir d’acheter le vieux rêve de « retour » d’avant l’esclavage qu’espéraient accomplir les Noirs transplantés un peu partout dans les îles de la Caraïbe » (p. 175). C’est ce qu’elle fait dans « Aimé Césaire, Jacques Roumain et l’équivoque du retour : Errance entre hasard et destin ». Joseph Dong Aroga analyse la filiation formelle et thématique pouvant exister entre la poésie et le théâtre de Césaire et le romantisme. Alphonse Mbuyamba Kankolongo et Bernard Pasi Kama examinent la réception des Å“uvres de Césaire chez les étudiants de Licence et de Master dans les universités congolaises dans « La critique universitaire congolaise face à l’œuvre d’Aimé Césaire : le cas de Kinshasa ». Les deux dernières réflexions de cette partie mettent en perspective des Å“uvres de Césaire et celles d’autres penseurs africains. Ainsi Martin Lemotieu s’intéresse aux possibles affinités thématiques, esthétiques et rhétoriques entre Cahier d’un retour au pays natal et Sans tam-tam d’Henri Lopes ; et le duo Dassi et Ladislas Nzesse mettent Ville cruelle d’Eza Boto, alias Mongo Béti, aux côtés du Cahier de Césaire pour « [se] réinterroger sur la non moins désagréable situation actuelle de la Négrité » (p. 227), sous un angle essentiellement linguistique.

La troisième partie, enfin, s’intitule : « Pour une esthétique de la Négritude » et ambitionne de « voir la manière particulière dont Césaire a su affirmer sa personnalité littéraire et concilier les exigences de la culture occidentale avec les aspects esthétiques de sa propre culture. » (p. 7) L’exposé de Marie-Rose Abomo-Maurin, « Aimé Césaire et son Å“uvre : un « style » qui parle aux Africains », ouvre cette partie. En constatant l’attachement du monde noir à celui que la France discrimine, l’auteure s’interroge sur « ce « style » qui lui vaut cet attachement pérenne » (p. 243) Trois hypothèses guident, dès lors, son argumentation : « la création de personnages mythiques dont l’envergure […] en fait de véritables martyrs et des références » ; « son statut de « »Bouche des malheurs qui n’ont point de bouche », à travers la dénonciation du pouvoir blanc et de la duperie de ces « maîtres »Â Â»Â ; et « ce pouvoir de poète et de mage, d’historien et de militant qui séduit, en même temps qu’il laisse apparaître avec réalisme les leurres des indépendances africaines » (idem) À sa suite, Bernard Mbassi analyse « les pathologies du discours des Africains dans le théâtre d’Aimé Césaire » ; Charles-Edgar Mombo trouve en le poète un « éclaireur de la révolution du langage en Afrique » ; Dassi revient avec une réflexion sur « la composition nominale identitaire à un univers de croyance favorable au salut de la Négrité » en étudiant « le cas d’une tranche de Cahier d’un retour au pays natal » ; Christiane-Félicité Ewane Essoh s’intéresse aux « jeu et enjeux du morphème et dans Cahier d’un retour au pays natal » ; et Pierrette Bidjoka Fumba articule son exposé autour de « l’hybridité langagière dans La Tragédie du roi Christophe ». Dans une étude du « mythe du monstre » dans l’œuvre césairienne, Gérard-Marie Messina scrute le leadership politique en Afrique en se demandant « si le monstre anti-monstre souhaité par Césaire ne s’est pas rangé dans la catégorie du monstre ordinaire, du chien colonialiste pour dévorer l’Afrique et poursuivre l’œuvre morbide de démolition des consciences, en vue d’étouffer les ferments de la fécondité de l’humanité noire » (p. 362) Enfin, Jacques-Raymond Fofie, dans « Aimé Césaire et le théâtre de la réhabilitation », se demande si le Martiniquais a créé un genre théâtral que l’on nommerait « théâtre de la réhabilitation » et quel pourrait être sa substance et son originalité par rapport aux autres genres déjà existants.

Dans la pléthore des travaux présents et à venir sur l’illustre penseur Noir, cet ouvrage devrait trouver sa place, notamment parce qu’il procède du premier grand rassemblement intellectuel en terre africaine depuis la mort de celui que l’Afrique vénère plus qu’un autre de ses prophètes, Senghor. Les enseignants, les étudiants, autant que le grand public y trouveraient un intérêt pour mieux connaître l’homme, son œuvre et ses effets.

On peut cependant déplorer l’absence, dans ce volume, des deux communications ayant clôturé le colloque : celle de Romuald Fonkoua, « Aimé Césaire : une culture de la pensée pour l’Afrique noire de demain », et celle d’Alexis Tcheuyap, « Aimé Césaire et le syndrome post-colonial ».

yaoundé

Lecture d’Aimé Césaire

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